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Yamaha 500 XT n°80 : J-Pierre Lloret...Si proche de la victoire !!!

lundi 7 janvier 2013, par Jeff

Dakar 1980

Pour cette seconde édition, le rallye fait le plein de concurrents…presque 100 inscriptions dans la catégorie moto !!! Bien sûr, des pionniers de 1979 sont de retour pour écrire une nouvelle page du rallye. Mais on compte également beaucoup de nouveaux venus qui n’ont pas envie que l’aventure se passe sans eux !!! Jean-Pierre Lloret est de ceux-là…presque par hasard…


En effet, ce propriétaire d’un magasin Yamaha à Alençon est convoqué à Paris un mois avant le départ du rallye lors d’une réunion regroupant tous les concessionnaires de la marque. « Tout le monde ne parlait que du rallye…Je rêvais moi aussi de la faire … et j’ai plongé !!! J’avais quelques économies, et une 500XT au magasin : l’arme idéale ! Je me suis décidé en catastrophe.. » Jean-Pierre possède en plus une solide expérience en compétition moto. Bien que venu tardivement dans ce sport (à 24 ans et il en a alors 29), il obtient très vite des résultats avec en 1976, un titre de champion de France d’enduro, rien que ça. L’année suivante, il devient même champion d’Europe dans la catégorie 125 cm3 !!! Et l’Afrique le fascine… Tout est donc réuni…L’envie, une moto, un excellent pilote… il ne manque en fait qu’un budget un peu plus conséquent ! Du coup, c’est sans aucune assistance que J-Pierre s’inscrit sur ce Dakar… Son seul luxe est de transporter sa moto à Paris sur une remorque pour…économiser ses pneus ! Il n’en possède aucun de rechange … Et côté matériel, rien d’extraordinaire non plus… Jean-Pierre nous l’explique lui même : "Pour la prépa de la 500XT, ce fut très simple. Après avoir percé tous les écrous majeurs perpendiculairement, ils ont reçu un fil de fer pour les sécuriser. D’autres ont été montés au locktit vert. Un gros porte bagage maison avec ancrage sur les points bas derrière les reposes pieds avec une astuce.Une 2eme béquille latérale a droite permet en mettant les deux béquilles d’avoir la roue ar en l’air, ou la roue av. Un gros réservoir de 47l venant du Dakar précédent offert par JCO, une couronne acier de 500SR, une chaine à joints toriques (très rare à l’époque. pour l’anecdote, même l’année suivante Sonauto n’en aura pas encore sur les motos usines). Et surtout, un excellent rodage très progressif avec vidanges tous les 300KM, pour éliminer toutes les limailles éventuelles. Ensuite, les poches sont remplies de filtres a air sans la strucure plastique, que je changerais 2 à 3 fois par jour pendant la journée. Et que je re-préparerais chaque soir. Enfin, dès les grosses chaleurs Africaines, j’ai acheté sur place de l’huile monograde 60 locale pour réduire la consomation d’huile.Cette huile est tellement épaisse que en France, la moto ne démarerait probablement même pas !Enfin, deux sacoches de chaque côté de sa moto... Dans la première, quelques pièces, des chaînes, des pignons, un allumage, puis dans l’autre, de l’outillage ! "

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Au prologue...

En fait, ces "conditions particulières" vont s’avérer un atout pour Jean-Pierre en début de course. « Alors que mes adversaires prennent des risques, sachant très bien que leur assistance interviendra en cas d’ennuis, moi, j’assure en économisant au maximum ma mécanique ». Du coup, le départ du rallye se passe sans vraiment prendre de risque, en préservant la machine et le pilote !!!! Mais son talent lui permet quand même de faire un 30ème temps au prologue et de pointer déjà à la 18ème place au général avant d’embarquer pour l’Afrique. Et si la première étape Algérienne qui l’amène à In Salah le voit faire le 122ème temps, Jean-Pierre recadre tout le monde dès la seconde spéciale (In Salah-Reggane) avec le 21ème temps toutes catégories confondues !

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Le soir, il quémande ça et là couverts et gamelles au bivouac, n’en ayant pas dans ses bagages, bricole seul sa machine et récupère même les pneumatiques utilisés une seule journée par les Yamaha officielles !

Et le rallye continue sur cette même lancée…Un pilotage prudent mais ultra efficace, un respect de sa machine, tout ça mène Jean-Pierre à Gao, première journée de repos du rallye, à la 2ème place du général derrière Breton !!! (à noter quand même le 6ème temps dans l’étape Bordj Moktar-Gao qui laisse pas mal de favoris derrière lui !).

Du coup, si Lloret a du se débrouiller entièrement seul le premier tiers du rallye, sa performance incroyable le fait connaître et lui apporte la sympathie de la caravane. Dès lors, il peut confier ses fameuses sacoches à une Range qui accepte de les transporter et confie même son duvet à un camion Sonacome Algérien…

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Le second tiers du rallye est la fameuse boucle Gao-Gao via Mopti, Nioro, Tombouctou… Cette seconde partie va voir les ténors des différentes catégories se porter davantage au devant de la course et tenter de marquer de leur emprunte le rallye. En moto, Auriol, Neveu, Merel, Pineau Vassard et d’autres encore vont accélérer et tenter de détrôner Jean-Pierre de sa place de leader … Rien n’y fait… 8ème dès la première spéciale de cette boucle, 5ème puis 7ème…Les temps sont impressionnants, à tel point qu’à Tombouctou, Jean-Pierre se retrouve en tête au général !!! Auriol le talonne mais doit se contenter de la seconde place !! Pourtant, cette étape jusqu’à Tombouctou va marquer un tournant dans son rallye : « J’ai heurté une barrière peu après le départ et j’ai fait un beau vol plané. Enfin, il y a mieux, à 200 km de l’arrivée, j’ai crevé et failli me perdre plusieurs fois !!! »…Cette chute apparemment sans conséquence a quand même laissé des traces physiques puisque J-Pierre s’est blessé à la jambe…

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Rien de grave à priori mais un petit avertissement tout de même… La chance est peut-être en train de tourner…

A Gao, nouveau changement… Auriol met la pression et passe premier au général. Avec seulement quelques minutes d’avance sur J-P qui se maintient dans le groupe de tête, avec Neveu, Merel et Pineau alors que de nombreux « cadors » rencontrent des difficultés diverses (crevaisons, moteurs, fuites de réservoirs, chutes…). L’étape suivante est en fait une liaison monstrueuse de près de 1300 km. Pas de chronomètre mais autant de pièges et saignées qui peuvent bouleverser le classement…Les petits ennuis continuent pour notre concessionnaire d’Alençon puisqu’il casse sa chaîne, crève encore deux fois, roule à plat, dort en pleine brousse mais parvient tout de même à rallier Bobo dans le temps imparti… A propos de bobo, sa douleur à la jambe commence sérieusement à devenir gênante. Mal soignée, sa jambe a commencé à s’infecter et cela le préoccupe, et surtout commence à l’handicaper fortement !!!! Mais l’événement de cette étape est la mise hors course d’Auriol, surpris à avoir chargé sa BMW sur un taxi brousse. !!! Auriol éliminé, Jean-Pierre se retrouve une nouvelle fois en tête au général !!!! Dès la spéciale suivante, (juste pour rappel, nous sommes le 17 janvier) c’est la lutte acharnée chez les motards… Il y a eu une grosse sélection, Auriol est out, .. Et le lendemain, c’est la dernière journée de repos et de mécanique… Du coup, tout le monde peut attaquer à fond et tirer sur les mahines… sauf Jean-Pierre toujours sans assistance, pièces de rechange et avec cette maudite jambe qui le fait souffrir et lui donne même des moments de fièvre. Ainsi Merel, Neveu, Desheules, Fenouil, Pineau, Comte, Vassard terminent devant Lloret qui est quand même 10 ème temps de la spéciale, 7ème moto et bien sûr premier privé !!!

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La journée de repos arrive donc à point nommé, mais le classement général a évolué.. Mérel est premier … Jean-Pierre a du passer la main !!! Mais il reste un dernier tiers de rallye pour reprendre cette première place !!! Si l’on fait un petit bilan, à une semaine de l’arrivée, Notre alençonnais que personne ne connaissait (ou presque) a marqué les esprits pour sa première participation… Sans assistance, sans pneus de rechange, sans matériel, avec juste sa bonne humeur et son pilotage, il targue toutes les usines et les pilotes expérimentés…Par contre, il faut avouer que la moto commence à montrer quelques signes d’usures et surtout, la jambe de Jean-Pierre le fait de plus en plus souffrir !!! La dernière semaine va être longue !!! Samedi 19 janvier 1980… Kologani- Nioro… 300km de spéciale que tout le monde redoute et que certains avaient déjà emprunté lors de la précédente édition du rallye. Des ornières, de la rocaille, une multitude de pistes, et du fesh-fesh… Rien que ça comme programme ! Le Dakar peut se jouer lors de cette étape… Et le Dakar se joue effectivement pour Jean-Pierre :…A 200km de kilomètres de l’arrivée, il raconte : « Je roulais très vite sur la piste et d’un coup, je me suis envolé sur un trou ! Un vol plané de 20 mètres au moins… Je suis resté inconscient près d’une demi-heure, avant de pouvoir relever la moto, chercher un rocher pour prendre appui et kicker avec ma jambe valide »…mais le bilan est lourd…Poignet gauche cassé !!! Au prix d’efforts prodigieux contre la souffrance et la fatigue, il arrive quand même à Nioro, épuisé, meurtri, en 16ème position tous classements confondus et surtout 11ème moto. Là encore un exploit avec une chute et la fin de la spéciale en pilotant …à une main !!! « J’ai fait 200 kilomètres avec une seule main ! Je suis épuisé, mais je n’abandonnerai pas. Je veux arriver à Dakar !! Ma moto est tordue, je ne suis pas en mesure de la réparer. Les chauffeurs d’Africatours, qui assurent le dîner et le petit déjeuner des concurrents, ont bien voulu s’en occuper. Ils ont même trouvé un chalumeau. On va m’apporter à dîner, tout le monde me prend en charge. Finalement, je dispose d’une assistance fantastique », confiait Jean-Pierre, à l’étape, allongé et souffrant le martyre. Du coup, vu son état, les médecins commencent à insister auprès des organisateurs et de Thierry Sabine pour qu’il arrête la course. Mais il ne se laisse pas faire : « Je leur ai dit : Je veux un toubib qui m’aide à finir, pas un qui me dégonfle !!! »

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Alors, l’AMSAM le prend charge : un plâtre pour le poignet et surtout, on s’occupe enfin de sa jambe, considérablement infectée ses suites du frottement de sa botte, la chaleur, la poussière et des soins trop tardifs. Car c’est cette jambe qui inquiète le plus le corps médical et qui risque de l’empêcher de pouvoir continuer… C’est donc avec le poignet gauche plâtré, une jambe meurtrie et extrêmement douloureuse que Jean-Pierre aborde Nioro-Bakel le lendemain… 250 km de spéciale, 350 de liaison qui seront le début d’un véritable enfer pour lui, tremblant de fièvre… Le pilote puise dans des ressources insoupçonnées pour terminer cette étape, dans un état de demi inconscience… il va quand même terminer 38ème temps de la spéciale (encore 90 concurrents !!!) et s’effondre à l’arrivée pour se reposer. Les médecins le prennent à nouveau en charge (Merci l’AMSAM !!) et décident de percer la douloureuse infection (sans anesthésie…) qui sévit depuis plusieurs jours… Ils en retirent une quantité impressionnante de pu !!! « De toute façon, anesthésie ou pas, je souffrais tellement qu’en fait, je n’ai rien senti !!! » Mais la course continue…. On se rapproche du but final, et Fenouil attaque à fond pour revenir sur Jean-Pierre dans cette avant dernière étape qui amène les concurrents à Lompoul.. Toujours anéanti par la fièvre, Lloret finit 74 ème à plus de 50 minutes de Fenouil sur sa grosse BMW qui brigue la 4ème place de notre alençonnais (qui en plus casse une chaîne !!), mais celui-ci tient bon avec encore près de 15 minutes d’avance… Dernier jour, le 23 janvier, spéciale de 80 km sur la plage jusqu’à Dakar…Le rallye est joué pour le scratch…

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Neveu va l’emporter pour la seconde fois devant Merel et Pineau… Succès incontestable des Yamaha sur ce rallye…Reste l’issue de la 4ème place du général moto, très incertaine, puisque Fenouil peut encore la ravir à Jean-Pierre en laissant parler les chevaux de sa BMW officielle face à la 500 XT abîmée et usée d’un pilote exténué utilisant une seule main !!!! Et dès le départ donné, Fenouil attaque comme un malade, poignée dans le coin, à fond sur la plage jusqu’à la fin de la spéciale… Il va d’ailleurs signer le meilleur temps devant Vassard, avalant les kilomètres à une vitesse record… Lloret, de son côté va un peu mieux… Sa jambe enfin soignée, la fièvre est tombée et il peut espérer défendre sa 4ème place avec la seule main qui lui reste…et il va réussir, réalisant même l’exploit de terminer 4ème de la spéciale avec moins de 3 minutes de retard sur le meilleur temps. C’en est fini, sa 4ème place au scratch est sauvée, la double performance de terminer le rallye et conserver son classement est réalisée !!!!

Cette seconde édition sera marquée bien sûr par la seconde victoire consécutive de Cyril Neveu. On attendait Auriol, c’est le petit Orléanais qui confirme qu’il sera présent à chaque Dakar et qu’il faudra toujours compter sur lui ! Mais cette seconde édition restera gravée dans toutes les mémoires par l’emprunte que va laisser la course de Jean-Pierre. Un dépassement de soi qui impressionne tout le monde, à commencer par l’intéressé : « J’avoue que ça a été très difficile pendant les deux étapes où je courais avec 40° de fièvre ! Là, j’ai même failli perdre espoir… J’ai approché et même découvert mes limites que je ne connaissais pas vraiment »

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D’ailleurs, à la remise des prix, personne n’est dupe et c’est une véritable ovation à l’appel de son nom !!! Du coup, la possible déception de cette 4ème place (une victoire était effectivement à sa portée) n’en est pas une… Une grande page du Dakar est écrite, et sa renommée est aussi grande que s’il avait gagné !!! A tel point que Jean-Claude Olivier, grand patron de Saunoto Yamaha ne s’y trompe pas et lui proposera un statut de pilote officiel pour le Dakar 81, aux côtés de Merel, Pineau, Tcherniavsky et Bacou !!! Son rêve deviendra réalité, être pilote d’usine ….avec une assistance !!!!! Mais cela est une autre histoire….

Portfolio

Au prologue...

P.-S.

Jean-Pierre fait un petit bilan sur sa XT de 1980 : "La moto ira à Dakar sans aucun problème mécanique. Démontée en France à l’arrivé, elle révèlera un état mécanique interne irréprochable. Problèmes : les deux roues crevées en même temps sur une pierre lors de la première étape expliquant mon mauvais résultat ce jour là. (2 autres crevaisons ds les épineux sur la suite du rallye) La chaine cassée à cause de ma combinaison moto qui tombe du porte bagage et qui se prend dans la chaine. La seconde fois, c’est juste l’attache rapide qui lache. Enfin, suite à ma grosse gamelle, cadre tordu à l’ar.( salement)et redressé pendant la nuit par les cuistots d’africatour. Merci à eux. !!!!"

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