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Le Range Granja, le canari écolo

jeudi 21 septembre 2006, par Sébastien

Le Range Granja est engagé sur ce Paris Dakar 1980, mais attention, eux boiront les bières fraiches dans le désert enfin en théorie. Autre particularité, ils sont 3 à bord. Revivez cette épopée grâce au récit de José Lourseau et aux photos de J.P Lefèvre.

Toute histoire, toute aventure commence par …Il était une fois. Celle que je vais tenter de vous faire partager ne peut pas commencer autrement.

Il était donc une fois, un jeune publicitaire toulousain (28 ans de rêve d’aventures à l’époque) Pilote et copilote de rallye sur goudron et sur terre, j’avais eu la chance de participer à une épreuve de rallycross qui se déroulait à Muret dans la banlieue toulousaine. Pilotant une Fiat 127 d’une centaine de chevaux, dans le cadre d’une formule monotype, j’avais eu le bonheur de gagner ma finale. Pour la première fois, je gagnais de l’argent avec la course automobile, un chèque de 350 F. J’avais loué la voiture à un ami très cher avec lequel j’avais couru et remporté le rallye du Périgord, Didier Moureu, pour la somme « amicale » de 1.000 F. Didier court encore aujourd’hui en Endurance GT avec sur une Viper qu’il partage avec Cayrolle. Un journaliste de La Dépêche du Midi, sûrement en panne de sujet, avait écrit un article sur ma performance (cette remarque va avoir son importance).

J’avais en charge, au sein de l’agence de publicité qui m’employait, le budget d’un jeune industriel qui avait créé une marque de motoculteur éponyme, Antoine Granja. Cet homme me séduisait à la fois par son énergie, son talent d’entrepreneur, son humanité et son approche philosophique de la vie. Il aimait les voyages et l’aventure. Si j’en partagerais bientôt quelques unes avec lui, il ne m’avait pas attendu pour s’évader de son quotidien. Il avait, par exemple, en 1978 je crois, tenter l’ascension de l’Aconcagua à moto, avec un groupe de barjots, dont Mister Lucas, champion de moto cross sur Bultaco, cascadeur (il avait traversé les chutes du Niagara à moto sur un filin tendu). Pour immortaliser ce périple, qui se concrétisera par un semi succès (les motos n’atteindront pas le sommet de peu), un photographe publicitaire était du voyage. On ne va pas tarder à entendre parler de lui.

Je présente donc le lundi suivant ma course, un projet de campagne pour le lancement d’un nouveau modèle de motoculteur, la GB 600 pour les puristes en jardinage. Je me souviens que nous avions concocté une campagne en nous inspirant du célèbre film « Les dents de la mer » qui, détournée avait donné naissance au « dents de la terre »

Incertain de l’accueil que j’allais recevoir devant cette audace, je me retrouvais dans le bureau d’Antoine. Rapidement, après avoir souri, il me donna son aval. Nous lancerions le nouveau modèle avec cette création. La conversation devint plus amicale et décontractée. Il prit le journal sur son bureau et, en me montrant l’article qui faisait écho de ma modeste performance, me demanda s’il s’agissait bien de moi ? Il découvrit ainsi mon goût pour les sports mécaniques. Je pliais mon carton à dessin et regagnais mon bureau. A peine avais je fait part de ma satisfaction à mes collaborateurs sur le succès de la campagne, que mon assistante me demanda de rappeler « de toute urgence » Antoine Granja. Que se passait il ? Avait il changé d’avis et craignait l’audace de la campagne ? Je l’appelais. Il me demanda de revenir immédiatement à son bureau, sans autre explication.

Pas très à l’aise, je m’assis devant lui. Sa première parole fût :
- Vous avez pris vos vacances ? Nous étions au mois de mars. Je n’avais rien programmé.
- Non ! Mais pourquoi cette question ? Répondis je.
- Vous semblez avoir un bon coup de volant sur la terre ! Ca vous dirait de faire le Rallye Paris Dakar ? Autant demander à un condamné à mort s’il vaut être gracié, à un manchot s’il vaut voir repousser ses bras ou à mon fils aîné s’il veut un Land Rover dans son garage !!!

Pour bien comprendre l’ampleur de la question, il faut se resituer dans le contexte.

Le premier rallye Paris Dakar n’avait pas fait beaucoup parlé de lui. Il avait était promu par RTL et Max Meynier qui tentait de couvrir l’évènement et surtout d’assurer des liaisons radio régulières. L’épreuve avait bénéficié de quelques échos télévisés après l’arrivée mais rien de plus. J’avais vu des reportages dans la presse spécialisée et avait, comme beaucoup, trouvé cette nouvelle idée de faire traverser l’Afrique des voitures et motos, plutôt sympathique. Mais à aucun moment, je n’avais pensé que cela me concernerait un jour. Tout cela était du rêve et rien d’autre. Les budgets devaient être très conséquents et de plus, ce monde là n’était pas le mien. Je courrais sur le goudron le plus souvent. Et si j’étais à l’aise dans La Cadière, épreuve spéciale mythique du Critérium des Cévennes, je ne m’imaginais pas une seconde aller poser mes pneus au Burkina Fasso dont j’ignorais d’ailleurs la situation géographique précise.

- Faire le rallye Paris Alger Dakar (on ne l’appelait pas encore « Dakar ») ?
- Je veux mon neveu ! Tiens on parle déjà du futur vainqueur moto !

Bien sûr que j’aimerais participer à cette aventure ! Rapidement Antoine s’installa dans la réalité du projet…

Quelle voiture ? J’avais enregistré que le vainqueur voiture (faux d’ailleurs ! Car il n’y avait à l’époque qu’un seul classement confondu motos et voitures) avait un Range Rover (Ginestet je crois) J’en conclue que c’était la voiture idéale. Voiture moderne par rapport aux 4 x 4 traditionnels, elle représentait un gros investissement. Trop tard ! Antoine avait pris sa décision ou plutôt ses décisions.
- José, dit il, je vous donne un budget de 50.000 F pour la voiture, à vous de jouer pour en trouver une qui puisse faire l’affaire ! Débrouilles toi avec ça mon petit Lourseau !

L’aventure commençait. Mais où allais je dégoter cette Range ?

J’avais croisé lors du rallycross, René Metge. Il avait été très sympa et s’était souvenu de moi. J’accompagnais en effet parfois Xavier Lapeyre sur les circuits de course de voitures de production. Ce dernier avait couru sur Alfa Roméo, puis Ford Capri alors que René faisait glisser de façon extrêmement spectaculaire, sa Triumph Dolomite.

Je téléphonais dans la journée même au Garage Autorama 92 et réussit à joindre René. Lui exposant notre projet, il me fit part des siens et allait justement s’engager au Dakar sur un camion aux couleurs de VSD. Il trouva le projet sympathique et m’informa qu’il avait déjà une demande de préparation. Je lui fixais les contraintes budgétaires. Il ne sembla pas affolé et me promis de « me trouver quelque chose »

Je pris contact avec les organisateurs pour connaître les conditions d’engagement. 15.000 F par pilote incluant les prestations d’Africatour qui devait assurer une partie de l’intendance. Deux camions transporteront des cuisines et des victuailles. Une première ! Le rapatriement de la voiture sera facturé en sus, ainsi que les voyages des pilotes. En incluant le carburant et sans la préparation (dont je n’avais aucune idée d’ailleurs) le budget minimum pourrait être d’environ 120.000 F. J’annonçais la douloureuse à Antoine. Stratège intelligent il voulait faire de cet engagement un vrai support de promotion pour ses produits. Nous nous engagions donc dans une démarche qui devint plus réfléchie, moins passionnelle. Il fallait trouver des ressources car, avec la préparation, le budget grimperait sûrement aux alentours de 150.000 F. Antoine se lançait dans le développement des énergies douces. Il fût décidé que nous devrions mobiliser des fournisseurs de panneaux solaires équipés de cellules photovoltaïques autour de ce projet. Ainsi fût fait.

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Le Range au controle technique

Notre Range Rover sera la première voiture écologique engagée dans cette épreuve. Nous verrons que cela aura des conséquences dramatiques pour les futurs maquettistes qui tenteront de reproduire cette voiture. !!!! Un certain Jean François y parviendra néanmoins à merveille.

On m’annonce un certain Metge au téléphone ! Mon cœur s’accélère.
- José, je crois que j’ai ce qu’il te faut ! Je viens de récupérer un Range qui a été volé et dont le propriétaire ne veut plus. Il a été abîmé dans la cavale des braqueurs (carrosserie- choc avant gauche et crémaillère de direction) La mécanique est quasiment neuve, 8.000 kilomètres, la peinture est verte. Roulant, en dehors des travaux de carrosserie, il coûte …50.000 F. Ha !!!! Au fait le propriétaire est …Gilbert Bécaud.

Je me fendis immédiatement d’un joli courrier que nous lui fîmes passer par l’intermédiaire de René, lui demandant s’il acceptait de parrainer notre équipage ? Il accepta mais regretta de ne pas pouvoir être là pour le départ. Nous n’osâmes pas le solliciter pour d’autres actions. Paix à son âme.

Je montais à Paris et récupérais l’engin. René avait fait rajouter des sangles pour limiter le débattement des suspensions et des protections des ponts. Il me dit, (et il s’avérera plus tard qu’il avait plus que raison), que la préparation devait se limiter à cela.

Antoine me confia l’utilisation de la voiture au quotidien, pour me la mettre en main. Je n’étais pas peu fier de frimer en ville. Nous apprîmes qu’une équipe de motards de la région avait le projet de créer un team toulousain. Initiée par Thierry Henriette ce groupe comportera 11 membres. Un véhicule d’assistance suivra le groupe. Il sera conduit par Pierre Laville, concessionnaire Toyota, rue Saint Michel à Toulouse. En le rencontrant, je découvris un des hommes les plus charmants qu’il m’ait été donné de croiser. La clope au bec, jovial, rondouillard, il conduisait ses affaires comme sa vie, avec passion. Madame Laville l’accompagnait dans ses projets le regardant agir avec complicité et sourire comme on soutient un enfant un peu « fada ».

Notre projet l’intéressa. Il promis de nous aider et de nous accompagner pour la préparation. Il avait « son idée là-dessus »

Nous décidâmes de tenter de trouver un « truc » pour médiatiser notre engagement. Ainsi, l’idée jaillit d’Antoine. Nous fixerons des panneaux solaires sur le capot avant. Ces derniers alimenteront un réfrigérateur et un ventilateur. Ainsi, nous prouverons la pertinence de la démarche. Mais comment faire parler de notre action ? Comment prouver l’efficacité de notre système ? Comment restituer nos souvenirs ? Des photos, le mieux est de faire des photos. Mais pour faire de bonnes photos, le mieux est d’avoir un bon photographe ! C’est ainsi qu’il fût décidé de proposer à Jean Pierre Lefèvre de se joindre à nous. Il avait déjà suivi Antoine dans ses périples d’Amérique du Sud, il travaillait régulièrement avec moi et j’appréciais beaucoup sa compagnie et son humour. La question qui lui fût posée reçu un réponse immédiate. Jean Pierre sera du voyage !

Mais si le règlement autorisait de partir à trois pilotes (c’est encore le cas aujourd’hui) il allait falloir trouver une place à ce nouvel invité. Nous en reparlerons plus tard.

Il fallait entamer la préparation, le temps ne pressait pas mais nous savions déjà que nous serions en retard quoiqu’il en soit… Comme toujours !

Pierre Laville prit les mesures pour réaliser l’arceau de sécurité, lequel, à l’époque, n’avait pas besoin d’être homologué. Il suffisait que les entretoises de fixation soient convenablement montées. Il sera réalisé en tube de chauffage. Le plus compliqué allait être la réalisation du réservoir supplémentaire. Nous étions loin des outres en caoutchouc obligatoires aujourd’hui. Le réservoir sera en métal. Contenant 300 litres il complètera le réservoir de série. Cloisonné pour éviter les transferts de masse lors des sauts et virages, il était connecté à une pompe qui effectuait le transfert vers le réservoir de série. Nous rencontrerons quelques problèmes avec ce système. L’arceau …C’est fait !

Passons maintenant aux sièges ! Deux superbes Sparco feront l’affaire ! Deux ! Mais ce n’est pas suffisant ! Et ce cher Jean Pierre ? Pour Jean Pierre, un chouette Sparco aussi mais …Au poulailler, comme on dit au théâtre ! Là haut, tout là haut…Sur le réservoir ; Jean Pierre, à l’annonce de cette répartition des espaces, fit, comment dire ? Une petite grimace. Assis sur 300 litres d’essence, on a connu situation plus confortable. Une structure métallique fût ainsi soudée sur et autour du réservoir et roulez jeunesse !!! Après les tests de positionnement, Jean Pierre s’avéra parfaitement « dominer » la situation. En résumé, le haut de son crâne frisé (à l’époque) était à 3 cm de la garniture de toit. Son champ de vision lui permettait de deviner le mètre cinquante de piste qui se trouvait devant le capot. Nommé navigateur officiel, sa tâche s’avèrera « compliquée »

Des élargisseurs d’ailes, pour rendre « la bête » plus agressive ont été commandés… Beaux mais complètement inutiles. De magnifiques jantes en acier, à rayons, vont se mettre au service de Desert Dog. Le Desert Dog est un pneumatique américain, recommandé par Pierre Laville. LE pneu pour le sable ! Vrai, c’était LE pneu pour le sable ...Mou. Mais pour aller de Paris à Dakar, il n’y a pas que du sable mou, loin s’en faut. Nous aurons l’occasion d’en reparler. Les flancs très souple de cette enveloppe nous jouerons de sacrés tours. Mieux encore, pour illustrer notre méconnaissance complète de ce qui nous attendait sur les pistes africaines, nous avions imaginer devoir « pousser les éléphants, éloigner les hippopotames, chasser les lions, peigner les girafes.. » Aussi, logiquement, nous nous sommes fait fabriquer le plus solide des pare buffles. Pensez donc ! Du tube de chauffage, du treillis métallique, des soudures épaisses comme de la pipe line…Bref 120 kilos en porte à faux. Les fauves n’avaient qu’à bien se tenir. La voiture, elle, sera très difficile à tenir…Sur la route !

Le temps passe vite, très vite. Vue sur une revue spécialisée, le renforcement des trompettes de pont d’un Range avec une barre de direction de Renault 6 directement soudée. Qu’à cela ne tienne aussitôt lu, aussitôt fait.

Une collection de pièces de rechange a été élaborée par René Metge. Filtres à air, courroies, amortisseurs, fusibles, ampoules, et plein de bricoles, quelques chouettes outils rutilants… Tout ça était bien rassurant ! Il ne manquait que ..Le mode d’emploi.

Parallèlement à cette préparation, j’entretenais des contacts réguliers avec les organisateurs. Quel parcours, quelles cartes ? Bref, quelle aventure ?

Au fil du temps qui passe, par l’intermédiaire du groupe de motards, je rencontre des complices et construit de solides amitiés. Je vois naître aussi un curieux phénomène… Les pirates du Dakar. Pour assurer leur assistance, parallèle, certains motards ont mobilisé leurs potes. Ainsi, une équipe de joyeux drilles a affûté des 504 plateau et berline. Nous voyons apparaître des personnages qui feront parler d’eux et notamment un formidable garçon, véritable héros de l’histoire du rallye : Max Commencal. Max sera le premier à s’engager avec une moto 125 cm3. Longtemps il portera le numéro 1. D’autres encore seront du voyage. Bruno Scmletez, (beau frère de Thierry Henriette), peintre hyper réaliste de grand talent partira avec sa compagne. Philippe Thomas, pilote de moto de vitesse vivra de grandes aventures en se perdant dans le sud algérien. Toute cette « armée » se rencontrait régulièrement pour tenter de s’organiser. Pour certain, les budgets étaient durs à boucler. Pierre Laville jurait que tout irait bien et rajoutait des étages à son Toyota châssis long. Il portera les roues des motards et quelques pièces. La presse locale commençait à parler des « aventuriers ». Cela nous faisait rire. Il allait falloir passer à la décoration de la voiture. Antoine souhaitait, et je l’accompagnais dans sa décision, un habillage original qui mette bien en valeur notre démarche « écologique ». Qu’à cela ne tienne, cette voiture sera la voiture verte du rallye. Ce qui nous amusait beaucoup c’était l’idée de voir le désert traversé par un immense pot de fleurs. Nous avons donc maquetté le Range et confié cette redoutable mission à une société de marquage experte : La Palette Publicitaire. Monsieur Giulardo s’est arraché les cheveux en découvrant l’illustration. Et pourtant, il a réussi, avec son meilleur peintre en lettres, un remarquable travail qui a pris quinze bons jours. La découverte de la voiture sortant de l’atelier, fût pour moi, un inoubliable moment. Elle était magnifique NOTRE voiture… Au pare buffle près !

Passons sur le stress qui nous gagne au fil du temps qui nous approche du départ. Les radios communication étant autorisées nous contactons une de nos relations qui dirige une entreprise de vente et d’installation de ce type de matériel. Le Range et le Toyota seront donc dotés d’une radio nous permettant de communiquer jusqu’à …. 15 kms. En vérité, nous arriverons à échanger des messages

Portfolio

Le Range au controle technique l'une des multiples crevaisons... Avant le départ d'une spéciale Antoine et le Range Réveil difficile... En plein désert... Doublé par les D'Aboville... Bivouac... La plage promise... Repos... Faut y aller... Avant le départ... Attaque au prologue... Trocadero...de dos

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