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Le Range Granja, le canari écolo

jeudi 21 septembre 2006, par Sébastien

Le Range Granja est engagé sur ce Paris Dakar 1980, mais attention, eux boiront les bières fraiches dans le désert enfin en théorie. Autre particularité, ils sont 3 à bord. Revivez cette épopée grâce au récit de José Lourseau et aux photos de J.P Lefèvre.

CHAPITRE 2

En vérité, nous arriverons à échanger des messages lorsque nous serons … Portière contre portière. De toutes façons, la gigantesque antenne qui était fixée sur le toit ne survivra pas à l’embarquement au niveau bas du bateau à Sète.

Nous voilà presque fins prêts. Africatour assurera l’intendance « gastronomique » nous avait on promis. Mais, on ne sait jamais ! Aussi avons-nous rempli des sacs marins de récupération de victuailles (pâtes, riz, gâteaux, conserves, saucissons….) Nous n’y toucherons pas et offrirons tout cela aux enfants de Gao. Africatour a parfaitement tenu ses promesses.

Les combinaisons de course n’étant pas obligatoires, nous voilà pimpant dans nos tenues immaculées, une énorme broderie Granja dans le dos.

Bon, ce n’est pas le tout mais il va falloir y aller ….A Paris. Car naturellement nous n’avons pas jugé utile de faire des essais de la voiture en configuration Afrika Korps. Les seuls que j’avais faits s’étaient déroulés lorsque le véhicule était encore civilisé, sur le circuit de rallycross de Muret. Je n’avais pas était peu fier de faire un meilleur temps que Xavier Lapeyre lui-même, peu habitué alors à la terre. Il en sera tout autrement lors du Dakar 1985. Mais peut être aurons nous l’occasion d’en parler bientôt !!

L’hiver est là. Sacrément froid. Nous avons essayé, tous les trois nos emplacements. Nous, devant, ça allait pas mal. Jean Pierre, au balcon, se préparait des moments pas faciles. Imaginez … Sous lui, le réservoir supplémentaire. A sa gauche, des sacs marins des boites de pièces détachées et les plaques de désensablage qui ne seront d’ailleurs jamais sorties. Si l’on se remémore le parcours de cette année 1980, le seul désert traversé était le Tanezrouft. Et le Tanezrouft est un désert plat, fait d’une couche mince, mais plutôt dure, de petits graviers. Dessous, du sable mou. Avec un minimum de vitesse, ça passe sans problème.

Arrêtons nous, d’ailleurs sur ce parcours que vous pouvez découvrir sur le site. Départ du Trocadéro à Paris. Direction Orléans (Le camp militaire d’Olivet) pour un prologue « pas piqué des vers » Toulouse, Sète et plouf vers Alger. In Salah, magnifique cité aux murs bleu. Reggane, un ville militaire ancien terrain de jeu des français. Quel plaisir de s’amuser à faire péter de très gros pétards qui produisent un curieux panache de fumée en forme d’un inquiétant champignon. Bordj Moktar, au bout du Tanezrouft, après le mystérieux poste de Bidon V. Gao et le premier sourire éclatant d’un petit nigérien. Nous sommes en Afrique Noire. La boucle de Gao, épopée magique qui nous fera traverser Mopti et découvrir le Mont Humbori, Ségou, la verte, Niono du Sahel et l’extraordinaire Tombouctou dont le nom sonne comme des tambours mystérieux. Et coucou Gao nous revoilà..Peut être ! Niamey, Bobo Dioulasso et ses vélos, Ouagadougou, Kolokani, puis plein Nord vers Nioro et une des villes les plus traversées de l’histoire du rallye : Kayes. Nous sommes au Sénégal, Linguere, le Niololokoba, réserve d’animaux, Lampour et Dakar. Qui m’aime me suive …

Bon ! Nous n’en sommes pas encore là. Y arriveront nous d’ailleurs ?

Vérifications au Parc des Expositions. On n’a pas l’air cons avec notre pare buffle. René Metge vient me voir et me demande si je ne suis pas fiévreux. T’es complètement malade ! Mais c’est quoi ce machin ? Tu vas pousser des wagons ? Et ces pneus, ça vient d’où ? Et dis moi, tu vas faire chauffer les œufs avec ton machin sur le capot ? Tiens tu as mis des élargisseurs d’ailes et renforcé les ponts, bravo, tu n’es plus homologué dans ta catégorie, tu seras en prototype ! Bravo mon Pt’it Lourseau. J’annonce ça à mes compagnons… Un grand éclat de rire. Mais qu’est ce qu’on en a à f….. !

Les commissaires s’interrogent sur le préparateur. On les rassure. Presque tout est « fait main ». L’arceau est jugé conforme. C’était pour eux, le plus important. Quand au « truc » sur le capot, ils s’interrogent encore sur la rubrique de l’annexe J dans laquelle il devrait se trouver ! En allant à Paris, outre provoquer la curiosité, jamais remarqué que la voiture était très, mais très sous vireuse. Le porte à faux était monstrueux. Nous verrons cela dans la boue et le sable d’Olivet.

Direction le Trocadéro pour le parc fermé. Les têtes des parisiens voyant défiler cette curieuse procession sont drôles. Aux rires complices succèdent des grimaces d’étonnement. Mais partout dans leurs yeux, des rêves d’ailleurs.

La vision du parc fermé au Trocadéro était surréaliste. Comment vous faire partager cet étonnement ?

D’abord, juste devant nous, un immense monument de fer, parfaitement ciselé… Bon sang, mais c’est bien sûr … La Tour Eiffel !!! Dessous, une curieuse araignée au bout d’un fil. Non, le délire ne m’a pas atteint. Il s’agit simplement d’un groupe de contestataire (anti nucléaires, je crois) qui se sont suspendus pendant presque deux jours, au bout d’une corde de rappel.

Le Trocadéro est transformé en exposition, que dis je en foire aux véhicules fous. La visite en détail du site vous permettra de reconnaître …Tout ce qui roule. Des Lada plus ou moins bien préparées, des Toyota "en veux tu en voilà", une Sbarro, véritable monstre, magnifique, préparé par le sorcier suisse et mû, je crois, par un moteur de BMW 635. Ce véhicule sera hélas pulvérisé dans le Tanezrouft après avoir fait plusieurs tonneaux. Il y avait encore des Pinzgauer à quatre et six roues. Une CX pilotée par un journaliste (Costa je crois), une R 12 Gordini, une 4 L à moteur de R 5 alpine, véhicule mythique des frères Marreau, une nuée de 504, dont une pilotée par les frères Neyrial, alors pilotes de circuit. Les Peugeot étaient nombreuses (404 et 504) car des malins profitaient du rallye pour « passer » des voitures et pour les vendre au Sénégal. Certaines ne franchiront pas le Tanezrouft. Une Citroën traction avant 11 ou 15, conduite par Jean Claude Avoyne, restaurateur de ce type d’engin, véritable génie de la mécanique et surtout formidable garçon, drôle et gentil, très gentil. Jean Claude deviendra un des piliers de l’assistance de René Metge puis de Jacky Ickx. Des Land Rover, un gros véhicule américain, il me semble (genre Dodge), les Iltis Volkswagen, futurs vainqueurs et des Range Rover découpées et allégés pour l’équipage Neveu (le père et le fils, frère de Cyril), pour les équipages Bastos et alourdi pour nous. Avec tout notre fatras, il pesait plus de 2 tonnes. Nous avions le sentiment que l’aventure avait commencé. Des journalistes nous sollicitèrent pour que nous leurs parlions de notre équipement mystérieux sur le capot. Pas de problème, démonstration à l’appui, tout fonctionnait. Un petit frigo 12 V et un ventilateur…Tous les deux branchés sur…La batterie. Il y a longtemps que nous étions aperçus que le système ne fonctionnait que par TRES grand beau temps mais aussi que les cellules photovoltaïques étaient d’une extrême fragilité.

Le public est là mais pas très nombreux. Nous sommes bien loin de ce que sera la folie de Versailles en 85. Direction Olivet (à côté d’Orléans) pour la première et seule spéciale en France, dans un camp militaire. Je conduis, les mains sont moites. Coups de klaxon, réponses aux encouragements. De mémoire, le temps est très humide. Nous rentrons dans le camp militaire d’Olivet. Des pistes en terre plutôt droites au début du parcours, quelques pifs pafs entre les arbres, La voiture ne veut, pas tourner… Le porte à faux ! Ça glisse beaucoup ! L’entrée dans une carrière de sable. Beaucoup de spectateurs, un creux suivi d’une bosse et un saut HENORME, une réception hasardeuse, les bras du public se lèvent.... le doute aussi d’un seul coup sur les dégâts occasionnés par cette figure. Pas de plantage .... On sort de la spéciale après avoir doublé plusieurs voitures beaucoup plus prudentes. De mémoire, 11ème temps. Nous avons battu, Pescarolo, Jean François Piot, Trautmann (je crois) mes héros ! Juste un détail qui va ramener cet exploit extraordinaire à sa juste valeur c’est à dire à rien du tout.... Ces Maîtres pilotaient des Land Rover poussifs et chargés par les pièces d’assistance des Vespa engagée dans cette aventure. Des Vespa dans le Tanezrouft c’est un spectacle inoubliables... peut être y reviendrons nous plus tard. Fin de la spéciale, l’auto est sale pour la première fois et abîmée aussi. Une vérification sous la caisse. Nous avions bien fait de renforcer une trompette de pont avec une tige de direction de R6. Une biellette est tordue. Rien de grave. Une petite toilette au Kärcher pour préparer notre arrivée chez nous à Toulouse. La route est agréable, le public de plus en plus présent au fur et à mesure de notre descente vers le Sud. Des gestes amicaux, de la lueur dans les yeux..nous faisons des envieux ! Aller de Paris à Dakar en voiture, camion et moto, "traverser le désert" .... Le désert, un univers mythique alors, la soif, la possibilité de se perdre des centaines, des milliers de kilomètres dans l’inconnu. Sommes nous conscients de ce qui nous attend ? En fait, dans nos discussions, dès que l’on peut, on en rajoute pour "passer pour des vrais aventuriers" ou peut être pour imaginer le pire afin de nous rassurer au fil du temps. Ce sera une vraie belle aventure mais si loin de ces dangers imaginés… À moins que l’inconscience ne nous les ait pas fait percevoir. La descente vers Toulouse est un vrai bonheur. Nous avons l’impression d’être de véritables héros. Notre histoire est pourtant si simple ! Il y a un monde entre ce que les spectateurs perçoivent et la réalité de notre mérite.

Arrivée à Toulouse.

Toulouse accueille le Dakar pour la première fois sur ses célèbres allées Jean Jaurès. Pas énormément de monde. Des badauds, des curieux, des sceptiques. Vite nous nous rendons chez notre "préparateur" et sectionnons à la tronçonneuse le pare buffle. Ouf ! Crient les amortisseurs avant. Rapide dodo et direction Sète pour un embarquement long et laborieux. Au passage, en rentrant sous les étages du ferry Tipasa (je crois) nous arrachons l’antenne de la radio prêtée par un copain. A ce sujet, un concurrent bien connu fait partie du convoi. Un dénommé Yves Régnier, alias l’Inspecteur Moulin, lequel au demeurant super sympathique (je l’ai revu plusieurs fois après l’épreuve) nous "gavera" comme nous le disons à Toulouse en jouant avec sa radio BLU qui, elle, fonctionnait à merveille tous les soirs au bivouac. Nous étions bercés par les " allo Cherokee 78, Cherokee 78 me recevez vous ?" Tel était son nom de code. Son Toyota était tout jaune aux couleurs de Télé 7 Jours, il me semble. Yves a dons été baptisé Cherokee 78 jusqu’à Dakar. Dans la caravane, un autre futur héros, qui se fera remarquer par son "pain" ou plutôt tonneau quotidien ...... Nicolas Hulot. Il roulait comme un tambour au volant d’un Range marron et nous gratifiera d’une magnifique figure entre Gao et Mopti. Ses coéquipiers, après l’avoir très vigoureusement engueulé, menaceront d’arrêter là l’expérience. Le bateau accueille TOUTE la caravane sans exception.

Le navire quitte le continent dans la nuit. Les cabines ne sont pas du meilleur confort. Pas d’étoiles sinon dans le ciel clément annonciateur d’une traversée sans encombre. Premier briefing de Thierry Sabine. Nous sommes rassemblés dans le grand salon. Trop nombreux nous nous asseyons par terre pour écouter, pour la première fois notre « gourou ». Dans sa combinaison blanche, il « en impose ». Sa voix est parfaitement posée, ferme. Sa fermeté nous confirme qu’il a parfaitement préparé son affaire. C’était vrai ! Après des mots de bienvenue, il insiste sur le fait que nous sommes des privilégiés de pouvoir traverser l’Afrique de cette façon. Il hausse le ton pour nous dire que nous sommes des invités et que la première chose que l’on doit à ce continent, est le respect. Il sera intransigeant sur ce point, à juste titre, ô combien. Le respect c’est traverser les villages en levant le pied, c’est aussi saluer les autochtones avant de leurs demander un renseignement, c’est partager, c’est laisser le bivouac le plus propre possible… C’est aimer ce continent et ceux qui l’habitent. Cette leçon deviendra pour nous, un leitmotiv. Thierry nous taquine sur nos révisions de navigation. Est il utile de rappeler que le GPS était encore enfoui dans l’imaginaire de quelques chercheurs rêveurs. En guise de GPS, des compas fixées dans l’habitacle, des boussoles manuelles, des cartes IGN (la folie des cartes russes qui se procureront à prix d’or n’existait pas encore), une règle Cras et roulez jeunesse. Commandant Sabine nous explique comment sont organisés les structures logistiques de sécurité (deux hélicoptères en tout) et une noria de … Méhari 4 x4. Elles arriveront à Dakar. Thierry nous précise que nos lampes d’identification devront absolument fonctionner. De quoi s’agit il ? Pour faciliter le repérage des voitures et camions, la nuit, nous avons du fixer deux lampes sur le toit. Elles étaient de couleurs différentes permettant de repérer la catégorie à laquelle nous appartenions et ainsi de faciliter la reconnaissance. Il nous parle d’Africatour en nous présentant le sémillant Hervé Didelot, aux allures de Lord anglais, arborant une magnifique moustache en guidon de …moto. Sympathique Hervé, efficace, discret, comme tous les membres de son équipe d’ailleurs. Débarquement à Alger La Blanche. Le vrai rêve commence. Du monde sur le port, mais beaucoup moins que j’en verrai en 1985. (Ce sera une autre histoire !) La douane est tatillonne et "sollicite notre générosité" pour que les démarches s’accélèrent. Un petit billet glissé dans les passeports et tout devient facile.... Direction, à la file indienne, vers Ouargla et In Salah. Ma mémoire défaille je crois qu’une spéciale courte a eu lieu mais je n’en suis pas sûr. R A S, tout va bien. Je conduis, Antoine navigue et Jean Pierre, de son promontoire voit le mètre cinquante de piste qui défile devant les roues avant.

Première nuit au bivouac. Africatour est en place. Un camion et un froid de canard algérien sûrement descendant des volatiles sibériens. Température : moins onze degrés et nous trois dans le Range. Vous avez bien lu, - 11 ° Pour nous bien évidemment il était inutile d’emporter de tente dans ces contrées réputées chaudes... le désert ! Tu penses ! En papillote dans nos couvertures de survie nous dormons à trois dans le Range, à peu prés 4 minutes quarante secondes. Le matin, nous ressemblons plus à Jean Marais dans Le Bossu qu’à des héros des temps modernes. Pour nous réchauffer les équipages des camions de la Sonacome nous offrent du thé chaud et Jeannot Ragnotti nous fait mourir de rire en actionnant au départ de la spéciale l’accélérateur à main de son Iltis Volkswagen, et en sautant en marche de la voiture en "abandonnant lâchement" son coéquipier à son triste sort. Magnifique spéciale entre In Salah et Reggane. Une piste immensément large (6 à 8 kilomètres) les premières vraies émotions, un dédale de pistes qui s’entrecroisent dues à la proximité des zones pétrolières. Tout se passe bien, une vision stupéfiante des pilotes des Vespa couchés sur la selle biplaces de leur engin. Reggane, un camp militaire austère. Demain, la traversée tant redoutée du désert... le Tanezrouft. Ah mon colon ! Les tripes se nouent. Le mystère, l’angoisse, les héros se préparent ..... On l’a voulu ....on y est !!

Portfolio

Le Range au controle technique l'une des multiples crevaisons... Avant le départ d'une spéciale Antoine et le Range Réveil difficile... En plein désert... Doublé par les D'Aboville... Bivouac... La plage promise... Repos... Faut y aller... Avant le départ... Attaque au prologue... Trocadero...de dos

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